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MAK : Comment voyez-vous justement ce rapport quand vous dites d’un côté que vous ne croyez pas dans l’origine, dans le progrès et que d’un autre côté vous dites que toujours dans tout ce que vous aimiez, dans ce que vous faisiez, vous étiez attiré par les moments d’origine ?
PS : Moment d’origine… je ne voulais pas dire origine de l’art, mais le moment où un homme a décidé de prendre de la couleur et s’est senti le désir impossible à réfréner, de peintre et faire quelque chose. Pour moi cela est un moment d’origine pour lui, comme moi je l’ai quand je peins. Le moment d’origine pour moi c’est quand j’ai besoin d’une tâche et que cette tâche provoque en moi le désir d’intensifier, de continuer, de développer. C’est ça l’origine ; ce n’est pas l’origine de l’art tout court. Mais seulement l’origine peut-être qu’il nous reporte à nos moment d’origine de l’aube de l’humanité. Jusqu’à présent, je n’ai pas vu d’autre animal qui peigne ; c’est quand-même notre propre à nous, je crois. Encore que, c’est peut-être à l’imitation des ours, parce qu’il y a des gens qui prétendent que les ours en s’appuyant avec des coups de griffes a donné aux humains l’idée d’en faire autant. Dans ces coups de griffes ils avaient vu, comme Léonard de Vinci dans le mur de Crépi voyait des figures, vous savez ce phénomène classique de l’imagination qui fait qu’on reconnaît des formes alors qu’il n’y a eu aucune intentionalité de représentation.
EJP : A propos de l’intentionalité, est-ce que vous êtes d’avis qu’un peintre possède un message à transmettre ?
PS : Je ne crois pas au message, je ne crois pas à la communication. Parce que la communication, une fois que j’ai reçu un télégramme qui communique,, la communication étant passé, je le déchire et le met à la poubelle. On ne le fait jamais avec une oeuvre d’art. C’est qu’il y a autre chose que la communication qui nous intéresse. Quand je suis devant une oeuvre d’art mésopotamienne, je sais que je n’ai pas les même mythes, les mêmes idées, les mêmes religions, je ne vis pas dans une structure sociale comparable, et je remarque que ça me touche. Alors pourquoi ça me touche ? Ce n’est pas parce que le Mésopotamien a voulu communiquer, même si pour lui ça servait comme moyen de communication. Ce n’est pas ça qui m’intéresse. Moi, ça ne me communique rien qui puisse me concerner.
EJP : Mais comment décriviez-vous le rapport entre le peintre et le spectateur ?
PS : Mais c’est l’oeuvre d’art qui a le pouvoir qui a le pouvoir d’émouvoir et de recevoir les sens que je lui prête. J’ai écrit il y’a très longtemps (1948) que les sens venaient se faire et se défaire sur l’oeuvre. Je disais que je réagissait déjà contre l’idée de la communication à l’art. Je disais que l’art n’était pas signe, qu’il était chose. …et chose sur laquelle venaient se faire et se défaire les sens qu’on lui prête.
EJP : Mais dans ce cas le spectateur vient se projeter dans l’oeuvre. Il se voit reflété dans un miroir.
PS : Vous savez, tous les choix esthétiques qu’on fait ont des correspondants éthiques.
EJP : Si vous parlez d’équivalent éthique, est-ce que vous voulez dire que l’esthétique est liée à une batterie de valeurs qui s’attachent à elle ?
PS : L’esthétique est déjà une chose que je peux contester dans le sens où l’on a inventée. C’est une invention du 18e siècle. Ce n’est donc pas parce que c’est une peinture de l’aube de l’humanité que, que sa richesse me touche. C’est bien une question d’origine. Pour moi, ce qui compte n’est pas l’émotion romantique que c’est lointain et disparu, ce qui me touche c’est que l’homme ait fait ce geste là. C’est son désir de marquer une présence.
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